Discours Herman Obdeijn à l'occasion de la réouverture Nimar
Mesdames, messieurs,
En 1622, il y a presque quatre siècles, le professeur Jacob Gool, titulaire de la chaire d’arabe à l’université de Leyde, accompagnait une délégation néerlandaise qui, à la demande du sultan, serait chargé d’explorer les possibilités d’accéder à la baie de Oualidiya. Gool profita de son séjour de presque douze mois pour enrichir sa bibliothèque soit en achetant des manuscrits, soit en commandant des copies.
Malheureusement son université ne sut pas apprécier cette collection à sa juste valeur car après la mort de Golius sa bibliothèque fut vendue à l’université d’Oxford.
Mais aujourd’hui l’université de Leyde prend sa revanche. Au moment où le NIMAR fut menacé de fermeture suite à une nouvelle vague de restrictions budgétaires, le doyen de la Faculté des Sciences Humaines de Leyde utilisa ses talents d’organisateur pour sauver le Nimar.
Depuis plus de quatre siècles les relations entre le Maroc et les Pays-Bas se poursuivent avec des hauts et des bas. Entre guillemets : Le livre que j’ai écrit sur Le Maroc selon les visiteurs néerlandais en est le témoignage. J’ai l’espoir que dans un proche avenir ce livre sera aussi disponible pour les lecteurs qui ne maitrisent pas le néerlandais.
Mais ce n’est pas de cette longue histoire des relations entre nos deux pays que je veux vous parler aujourd’hui. Dans les minutes qui viennent je veux vous faire revivre quelques épisodes de l’histoire récente.
Dans les année soixante du siècle dernier l’économie néerlandaise avait besoin de travailleurs. La plupart de ces immigrés pensaient rester quelques années seulement, le temps de faire des économies. Mais au moment où le recrutement se ralentissait et les travailleurs marocains devaient rentrer chez eux, beaucoup d’entre eux préférèrent rester aux Pays-Bas et décidèrent de faire venir leurs femmes et leurs enfants.
Soudainement, la société néerlandaise se vit obligée de trouver des logements pour les nouveaux venus et d’organiser l’enseignement des enfants. Les pédagogues de l’époque étaient convaincus que l’intégration ne devrait pas conduire à une assimilation complète mais qu’il fallait respecter la culture d’origine des immigrés. C’est dans ce cadre que des cours de langue et de culture d’origine furent organisés dans les écoles. Mais où trouver les enseignants capables d’assurer ces cours ? Au Maroc bien sûr !
In 1982 le ministre de l’enseignement décida de nommer des attachés aux affaires éducatives auprès des ambassades à Ankara et Rabat. Cela ne fut d’ailleurs pas sans problèmes. Le Ministère des Affaires Etrangères voyait d’un mauvais oeil ces attachés qui dépendaient d’un autre ministère. J’avais moi-même posé ma candidature pour Rabat mais lorsque je visitai Rabat pour faire connaissance, l’ambassadeur néerlandais monsieur Colot D’Escury, m’avoua franchement que, si cela dépendait de lui, je ne serais pas nommé !
J’entrai en fonction en septembre 1982. Heureusement que le nouvel ambassadeur, Monsieur Jan van den Berg, m’accueillit chaleureusement et m’assura de son soutien. Mon bureau ne se trouvait pas à l’ambassade mais dans un immeuble tout proche, à la rue d ‘Oujda. Ce bureau avait l’avantage d’être très accessible.
Ma première tâche était de faciliter le recrutement d’enseignants marocains pour les écoles situées en Hollande. Je dis bien « faciliter » car les institutions scolaires aux Pays-Bas sont autonomes dans le recrutement de leur personnel. Les autorités marocaines avaient du mal à comprendre ce système car au Maroc les instituteurs dépendent directement du ministère.
Les candidatures pour un départ aux Pays-Bas étaient nombreuses. Après une annonce dans le Bulletin Officiel six mille candidats se présentèrent. Les interventions ne manquaient pas : tel colonel de la Garde Royal ou tel secrétaire général de ministère recommandait cousin, neveu ou parent. A moi d’établir une liste de candidats compétents après quoi des responsables néerlandais venaient et faisaient leur choix.
C’était un travail délicat. Les négociations avec les autorités ne furent pas toujours faciles, pour ne pas dire difficiles. Mais il faut reconnaître qu’une fois un accord conclu, les autorités marocaines remplissaient sans problèmes toutes les conditions.
Permettez-moi une petite anecdote. Pour renforcer les contacts entre les Pays-Bas et le Maroc un accord culturel fut conclu. Dans le concept néerlandais nous avions écrit que les deux pays devaient promouvoir la connaissance des langues et des cultures (au pluriel) du pays partenaire. Nous étions très fiers parce que les Pays-Bas aient reconnu le Frison comme deuxième langue nationale. Nous pensions rendre justice au Maroc et sa double culture arabe et tamazight. Mais nos partenaires marocains ne furent absolument pas d’accord. Le Maroc ne connaissait qu’une seule langue et qu’une seule culture : l’arabe !!
Heureusement mon travail ne se limitait pas à cette assistance au recrutement. Beaucoup de personnes qu’ils fussent des fonctionnaires de ministères ou de municipalités ou des enseignants qui comptaient des élèves marocains dans leurs classes souhaitaient visiter le Maroc. Mon bureau ressemblait souvent à une agence de voyage. Il existait aussi un intérêt grandissant pour le Maroc parmi les chercheurs. Il fallait organiser des permis de séjour et de recherches pour eux. En ce sens j’étais un précurseur du Nimar.
Mais en retour des chercheurs marocains obtenaient des bourses pour les Pays-Bas. Parmi eux mon collègue et ami le professeur Abdelmadjid Kaddouri. Pendant l’hiver très sévère de 1985 il était à Leyde. Triomphalement il pouvait se proclamer marabout parce que il avait marché sur l’eau. Il faut avouer que c’était l’eau glacée des canaux de Leyde.
Malheureusement le bureau de l’attaché aux affaires éducatives fut fermé en 1987. C’est alors que l’idée est née d’organiser des colloques universitaires maroco-néerlandais afin de maintenir les contacts. Quatre colloques successivement aux Pays-Bas et au Maroc se sont déroulés entre 1988 et 1995. La Faculté des Lettres de Rabat s’est chargée d’éditer les Actes de ces colloques. Ces colloques ont stimulé non seulement les contacts entre les universités participantes mais aussi et surtout entre les chercheurs individuels des deux pays.
Je me rappelle encore très bien le diner de clôture du deuxième colloque à Amsterdam où notre collègue Ahmed Taoufiq, l’actuel ministre des Affaires Islamiques, chanta les louanges des belles femmes hollandaises !
Une nouvelle époque commençait avec l’accession au trône de Mohammed VI. En 2002 une initiative fut prise pour célébrer trois ans plus tard les quatre siècles de relations diplomatiques entre le Maroc et Les Pays-Bas. Un comité sous le haut patronage de sa Majesté le roi Mohammed VI et le Prince d’Orange fut formé.
Les festivités débutèrent en décembre 2004 par l’ouverture d’une grande exposition sur le Maroc millénaire à Amsterdam en présence du prince Moulay Rachid et du Prince d’Orange. Et elles devaient se terminer en novembre 2005 à Marrakech avec un colloque sur l’eau avec une intervention très remarquée du Prince d’Orange.
Entre ces deux dates plus de 400 activités de toutes sortes eurent lieu aussi bien aux Pays-Bas qu’au Maroc. Ainsi en septembre 2005 le trois-mâts Oosterschelde avec à bord des artistes néerlandais visitaient plusieurs ports marocains où des spectacles étaient présentés.
Le Maroc qui n’avait dans les années précédentes guère reçu des visites officielles du côté néerlandais accueillait en 2005 trois ministres, deux secrétaires d’état et le Prince d’Orange et son épouse. L’ambassadeur de l’époque, le regretté Sjoerd Leenstra se plaignait que notre comité lui avait procuré pas mal de travail.
Ici il faut rendre l’honneur à quelqu’un qui a profité de l’élan du moment pour lancer un projet dont nous constatons aujourd’hui le résultat.
Le professeur Jan Hoogland a su intéresser le ministère de l’Enseignement aux Pays-Bas au financement d’un Institut néerlandais au Maroc. Comme Jan Hoogland était retenu aux Pays-Bas c’est à Paolo De Mas, un ancien du Maroc qui m’avait succédé en 1985 comme attaché aux affaires éducatives, que fut confié la tâche de mettre sur pied de nouvel institut.
Au début le directeur dût surmonter pas mal d’obstacles. Au Maroc les autorités furent habituées à des instituts culturels dépendants des ambassades. Mais le Nimar fonctionnait sous les égides de l’Université catholique de Nimègue qui portait dans son entête la divise « Heureux au nom de Dieu » avec une grande croix. Les Marocains se demandaient de quel Dieu il s’agissait.
Mais grâce à l’excellente coopération entre l’ambassadeur Leenstra et le directeur De Mas, le Nimar sut trouver sa place. Il accueillait les étudiants qui venaient perfectionner leur connaissance de la langue et de la culture arabe et marocaine. C’était aussi un centre d’appui pour les chercheurs néerlandais et un centre d’information pour tout ce qui concerne l’enseignement aussi bien aux Pays-Bas qu’au Maroc.
En 2009 le professeur Hoogland prit la succession de Paolo De Mas en qualité de directeur du Nimar. A cause des perturbations en Syrie et en Egypte le NIMAR devint le centre préféré d es étudiants de l’arabe. Mais l’institut continuait aussi à promouvoir des recherches au Maroc et à organiser des colloques. Entre autres sur la migration marocaine vers les Pays-Bas. Afin de mieux faire connaître les travaux des chercheurs néerlandais un recueil fut publié en 2010 intitulé « Le Maroc de près et de loin. Regards d’anthropologues néerlandais.
En 2015 le NIMAR risquait de devenir victime des mesures de restrictions du Ministère de l’Enseignement. La fermeture était prévue pour juin 2015.
Le cri d’alarme du directeur fut heureusement entendu par le doyen de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université de Leyde. Cette université possédant la plus ancienne chair d’arabe aux Pays-Bas considérait comme un devoir de prendre en charge le NIMAR.
Avec le concours énergique de l’ambassadeur Monsieur Ron Strikker les ministères de l’Enseignement et des Affaires Etrangères furent convaincus de la nécessité de maintenir le NIMAR en tant que centre de contact et d’études dans un monde arabe en pleine effervescence.
En terminant, je dois avouer que je suis fier et heureux de voir aujourd’hui que l’étudiant ambitieux qui m’assistait il y a plus de trente ans dans mes efforts pour développer du matériel éducatif sur le Maroc est maintenant le doyen de la Faculté qui a sauvé le NIMAR. En 1985 mon épouse rencontrait dans l’avion en route pour le Maroc un jeune chercheur ambitieux qu’elle invita à venir déjeuner chez nous. Il est devenu trente ans plus tard le nouveau directeur du NIMAR.
« Mieux se connaître pour mieux travailler ensemble » était la devise de notre Année du Maroc en 2005. Je suis convaincu que le NIMAR sera l’instrument par excellence à la réalisation de cette tâche.
Je félicite monsieur l’ambassadeur Ron Strikker, monsieur le doyen de la Faculté des Sciences Humaines Wim van den Doel et tous les autres qui ont contribué à la réalisation de ce projet et je souhaite beaucoup de succès au professeur Léon Buskens et à son équipe.
Rabat, le 21 avril 2016